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« Les mangeurs de viande ne sont pas responsables de la faim dans le monde »

04/04/2019

SOURCE : Article de Louis Cornellier – LEDEVOIR.COM

Les adeptes du véganisme affirment que leur mode de vie rejetant toute forme d’exploitation animale est le seul capable de mettre un terme au calvaire des animaux d’élevage, de lutter contre la faim dans le monde et contre le réchauffement climatique, d’améliorer la santé humaine et d’en finir avec la culture de la violence.

Un tel discours ne peut qu’ébranler les humains de bonne foi. Qui voudrait, en effet, être cette brute carnivore, responsable du massacre des bêtes innocentes, de la famine dans le tiers monde et de la destruction de la planète, dépeinte par les militants véganes ? Faut-il conclure, par conséquent, que le véganisme est l’idéal éthique de notre temps ?

Le politologue français Paul Ariès, spécialiste de l’alimentation et partisan de la décroissance, n’est pas de cet avis. « Le véganisme est décidément une idéologie qui perd beaucoup à être connue », écrit-il dans une énergique Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser (Larousse, 2019, 180 pages).

Réfutations et concession

Les mangeurs de viande ne sont pas responsables de la faim dans le monde, explique Ariès. « L’agriculture mondiale pourrait pourtant, déjà, nourrir dix milliards d’humains », affirme-t-il, en précisant que les famines sont plutôt attribuables à des causes politiques et économiques. Le véganisme, dans ce contexte, serait même nuisible puisque « l’humanité a besoin pour son agriculture […] d’engrais animal, mais il n’existe pas d’engrais animal sans élevage » et pas d’élevage sans mangeurs de viande.

Les seules solutions de rechange au fumier animal sont l’agriculture biotechnologique intensive, qui n’a rien d’écolo et qui épuise les sols, ou une importante diminution de la population mondiale, prônée par certains militants véganes. « J’aimerais répondre à ces héritiers du révérend Malthus qu’il y a toujours trop d’humains sur Terre… pour ceux qui ne les aiment pas ! », note Ariès, avant de contester, sur le même ton, les thèses selon lesquelles la viande serait responsable du réchauffement climatique, du gaspillage de l’eau et de la mauvaise santé humaine. Solidement argumentées, les réfutations du pamphlétaire, sans être définitives — elles sont très contestées —, ébranlent le discours végane.

Ariès fait une concession aux défenseurs des animaux en reconnaissant qu’ils ont raison de dénoncer « le sort effroyable » que le productivisme réserve aux bêtes. Chez ceux qui réfléchissent sérieusement à la condition animale, ce constat fait presque consensus. Contrairement aux véganes, toutefois, Ariès ne propose pas d’abolir l’élevage, ce qui entraînerait la disparition des animaux de ferme. Il plaide plutôt pour un élevage paysan et bio, antidote au productivisme et à « l’artificialisation du monde ».

Horrifié par la quête d’une viande synthétique, un projet mené par la grande industrie des biotechnologies, le pamphlétaire refuse l’alternative entre la viande sale de l’élevage intensif et la viande propre artificielle. « Nous faisons au contraire le pari qu’il est possible de manger moins de viande mais meilleure, écrit-il, car garantissant le bien-être animal, de bonnes conditions de travail aux éleveurs, aux salariés des abattoirs, et le maximum de plaisir, de partage et de santé aux mangeurs. »

Contradictions antispécistes

Une telle solution ne convient pas à la frange de véganes qui se réclame de l’antispécisme, une pensée condamnant le traitement préférentiel accordé aux humains par rapport aux animaux. Ariès fait ressortir les contradictions d’une telle vision du monde. L’agriculture intensive, nécessaire à l’alimentation végane, tue des tonnes d’insectes et d’animaux, en plus de détruire la vie organique des sols. De nouvelles thèses scientifiques postulent la réalité d’une souffrance, voire d’une intelligence des plantes. Par conséquent, un antispécisme logique ne devrait-il pas mener à un refus de manger des végétaux ? « La grande différence entre les omnivores et les véganes, explique Ariès, c’est que les premiers n’ont pas besoin de nier la souffrance animale et végétale pour défendre leur système de pensée, alors que les seconds le doivent, sauf à devenir fous et à prôner […] le suicide de masse… »

Ariès montre, d’ailleurs, que ceux qu’il appelle les « véganes conséquents », c’est-à-dire ceux qui tirent les conclusions radicales de leur pensée, ne sont pas des humanistes. En mettant en avant les critères de la souffrance et de la conscience de soi pour évaluer les individus, humains ou animaux, ils en arrivent à affirmer que « tuer un nourrisson serait indéniablement moins grave que de sacrifier un grand singe » ou qu’un cochon a plus de valeur qu’un foetus. Ariès dénonce, à raison, ce « relativisme éthique » qui, au nom de la libération animale, porte atteinte à l’unité et à la dignité du genre humain.

Un autre idéal

« Les véganes sont-ils entrés en religion ? » demandait le magazine La Vie en août 2018. Force est de conclure que c’est le cas de certains d’entre eux quand on découvre, dans les dernières pages du livre d’Ariès, la pensée des véganes les plus exaltés. Des philosophes appartenant à ce courant réfléchissent, en effet, à la possibilité de procéder à des manipulations génétiques visant à transformer en végétariens des animaux carnivores ou proposent d’éliminer des prédateurs sauvages pour en finir avec la souffrance présente dans la nature. Et comme ils sont antispécistes, on peut imaginer le sort qu’ils réservent à l’humain ensuite. À ce stade de religiosité, c’est le nihilisme qui règne.

Les véganes québécois, généralement bien intentionnés, n’ont pas ces ambitions délirantes. Leur souci légitime pour la condition animale et pour la planète n’a rien de condamnable et devrait même inspirer les impénitents mangeurs de viande industrielle. L’essai de Paul Ariès vient toutefois dire aux uns et aux autres qu’en ces matières, l’idéal éthique se trouve plutôt du côté d’une agriculture et d’un élevage bios et paysans.

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